Queneau (2)
Je suis encore en train de lire Pierrot mon ami de Raymon Queneau (oui, je sais, je t'en ai déjà parlé il y a plus d'une semaine, mais j'ai commencé plusieurs livres en même temps) et je me délecte. Je ne résiste pas au plaisir de t'en mettre encore un petit bout !
(Pierrot pense à Yvonne, qu'il a rencontrée à la fête foraine)
Pierrot ferma les yeux, évoqua le brouhaha du manège, l'aérodynamisme du petit véhicule dans lequel il s'était serré contre elle; alors il ressentit les parfums troublants dont elle s'était imbibée, son coeur chavira de nouveau à la mnémonique olfaction de cet appât sexuel et, pendant quelques instants, il s'abîma dans la reviviscence d'odeurs qui donnaient tant de luxueux attraits à la sueur féminine.
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(Mme Pradonet parle avec sa fille Yvonne, vingt ans)
Quand tu auras un passé, Vovonne, tu t'apercevras quelle drôle de chose que c'est. D'abord y en a des coins entiers d'éboulés : plus rien. Ailleurs, c'est les mauvaises herbes qui ont poussé au hasard, et l'on y reconnaît plus rien non plus. Et puis il y a des endroits qu'on trouve si beaux qu'on les repeint tous les ans, des fois d'une couleur, des fois d'une autre, et ça finit par ne plus ressembler du tout à ce que c'était. Sans compter ce qu'on a cru très simple et sans mystère quand ça s'est passé, et qu'on découvre pas si clair que ça des années après, comme des fois tu passes tous les jours devant un truc que tu ne remarques pas et puis tout d'un coup tu t'en aperçois. Léonie s'intéresse à la femme pour laquelle est mort un homme qui l'avait aimée elle, c'est bien naturel. Des idées comme celle là, et même des plus baroques, il en pousse tous les jours sous le crâne de tout le monde, tu le sauras quand tu auras mon expérience.