Chaud ... derlos
J'ai hésité entre les catégories "c'est du poulet" et
"Mme de Keravel critique littéraire", car c'est une lettre, certes, mais extraite d'un roman épistolaire (qui n'est pas un roman parlant de duel, même si ce roman-ci se termine effectivement par un coup de pistolet).
Madame Kiki Posuto parle de livre Bingo, celui-ci en est un pour moi. Beaucoup de gens connaissent ce livre, mais par l'intermédiaire d'un film (il y a eu au moins 3 ou 4 adaptations). J'aime beaucoup le film de Stephen Frears (avec Glen Close et John Malkovitch) les autres je ne les ai pas vus. Mais le livre est mille fois plus intéressant. On y déguste les turpitudes du couple Merteuil / Valmont, ces deux personnages qui exercent leur intelligence, leur finesse, leur ambition à embrouiller les autres dans des histoires de cul coeur (à l'époque il n'y avait pas le CAC40, les élections présidentielles ou Normale Sup, et les gens entreprenants n'avaient pas grand chose à entreprendre, surtout dans la noblesse ou il était de toute façon interdit de travailler).
Les liaisons dangereuses - Choderlos de Laclos - 1782
Lettre 100 : Le Vicomte de Valmont à la Marquise de Merteuil
Valmont a parié avec Merteuil qu'il séduirait Mme de Tourvel, parangon de vertu. L'enjeu : une nuit d'amour (avec la Merteuil, et vu le zèle de Valmont à gagner son pari, elle doit être un sacré bon coup !). Mais Mme de Tourvel, au moment de l'hallali saute dans son carrosse et détale.
on amie, je suis joué, trahi, perdu; je suis au désespoir : Madame de Tourvel est partie. Elle est partie, et je ne l'ai pas su ! et je n'étais pas là pour m'opposer à son départ, pour lui reprocher son indigne trahison ! Ah ! ne croyez pas que je l'eusse laissée partir; elle serait restée; oui, elle serait restée, eussé-je dû employer la violence. Mais quoi ! dans ma crédule sécurité, je dormais tranquillement; je dormais, et la foudre est tombée sur moi. Non, je ne conçois rien à ce départ; il faut renoncer à connaître les femmes.
Quand je me rappelle la journée d'hier ! que dis-je? la soirée même! Ce regard si doux, cette voix si tendre ! et cette main serrée ! et pendant ce temps, elle projetait de me fuir ! O femmes, femmes ! Plaignez-vous donc, si l'on vous trompe ! Mais oui, toute perfidie qu'on emploie est un vol qu'on vous fait.
Quel plaisir j'aurai à me venger ! je la retrouverai, cette femme perfide; je reprendrai mon empire sur elle. Si l'amour m'a suffi pour en trouver les moyens, que ne fera-t-il pas, aidé de la vengeance ? Je la verrai encore à mes genoux, tremblante et baignée de pleurs, me criant merci de sa trompeuse voix; et moi, je serai sans pitié.
Que fait-elle à présent ? que pense-t-elle? Peut-être elle s'applaudit de m'avoir trompé; et fidèle aux goûts de son sexe, ce plaisir lui paraît le plus doux. Ce que n'a pu la vertu tant vantée, l'esprit de ruse l'a produit sans effort. Insensé ! je redoutais sa sagesse; c'était sa mauvaise foi que je devais craindre.
(...)
Mais quelle fatalité m'attache à cette femme ? cent autres ne désirent-elles pas mes soins ? ne s'empresseront-elles pas d'y répondre ? Quand même aucune ne vaudrait celle-ci, l'attrait de la variété, le charme des nouvelles conquêtes, l'éclat de leur nombre, n'offrent-ils pas des plaisirs assez doux ? Pourquoi courir après celui qui nous fuit, et négliger ceux qui se présentent ? Ah! pourquoi ?... Je l'ignore, mais je l'éprouve fortement. (mon pauvre chéri, j'ai bien peur que tu sois amoureux ... NDM*)
Il n'est plus pour moi de bonheur, de repos, que par la possession de cette femme que je hais et que j'aime avec une égale fureur. (tu vois ! NTM) Je ne supporterai mon sort que du moment où je disposerai du sien. Alors tranquille et satisfait, je la verrai, à son tour, livrée aux orages que j'éprouve en ce moment, j'en exciterai mille autres encore.
(...)
Je n'ose tenter aucune démarche; je sens que pour prendre un parti il faudrait être plus calme, et mon sang bout dans mes veines.
(…)
Adieu, ma belle amie; s'il vous vient quelque idée heureuse, quelque moyen de hâter ma marche, faites-m'en part. J'ai éprouvé plus d'une fois combien votre amitié pouvait être utile; je l'éprouve encore en ce moment; car je me sens plus calme depuis que je vous écris : au moins, je parle à quelqu'un qui m'entend, et non aux automates près de qui je végète depuis ce matin. En vérité, plus je vais, et plus je suis tenté de croire qu'il n'y a que vous et moi dans le monde, qui valions quelque chose.
* NDM = Note de Moi
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