à voile ou à vapeur ?
Je suis en train de lire "L'oeuvre au noir" de Marguerite Yourcenar. Je sais ce que tu vas dire : "Ouah ! trop forte Madame de Keravel ! Elle lit Yourcenar !...". (j'aime tellement les compliments que je me les invente ...) Attends avant de sortir la brosse à reluire. En fait, si je veux être honnête, c'est très dur ! C'est qu'elle est hermétique, la Marguerite ! Je passe parfois deux ou trois page à planer sans comprendre ce qu'elle me veut ... Et inutile de prendre ce livre passé 22 heures, ma cervelle n'est plus assez affutée !
Mais dans ce parcours du combattant j'ai quand même des fenêtres de clarté (et puis ma fierté veut que je n'abandonne pas en chemin !), et parmi icelles, cette discussion entre deux cousins, un qui aime les femmes, et l'autre qui aime les hommes, que je voudrais partager avec toi.
- Prisez-vous la beauté, frère Henri ?
- Oui, dit le flamand. Féminine. Anacréon est bon poète et Socrate fort grand homme, mais je ne comprends point qu'on renonce à ces orbes de chair tendre et rose, à ces grands corps si plaisamment différents du nôtre où l'on entre comme des conquérants* pénétrant dans une ville en joie fleurie et pavoisée pour eux. Et si cette joie ment et ce pavois nous trompe, qu'importe ? Ces pommades, ces frisures, ces parfums dont l'emploi déshonore** un homme, j'en jouis par le truchement des femmes. Pourquoi irais-je chercher des venelles dérobées, quand j'ai devant moi une route au soleil où je puis me pousser avec bonheur ? Fi de ces joues qui cessent vite d'être lisses, et s'offrent à l'amant bien moins qu'au barbier !
- Moi, dit Zénon, je goûte par dessus tout ce plaisir un peu plus secret qu'un autre, ce corps semblable au mien qui reflète mon délice, cette agréable absence de tout ce qu'ajoutent à la jouissance les petites mines des courtisanes et le jargon des pétrarquistes, les chemises brodées de la Signora Livia et les guimpes de Madame Laure, cette accointance qui ne se justifie point hypocritement par la perpétuation de la société humaine, mais qui naît d'un désir et passe avec lui, ce n'est point parce que m'y ont disposé à l'avance les ritournelles en vogue ... ***
* Henri est soldat
** honneur : 2 N, déshonneur : 2 N, déshonorer : 1 seul N. T'y crois toi !!! La langue française est vraiment une salope volage !
*** Quand je copie/colle cette phrase dans word pour les corrections, il me dit qu'elle est trop longue et qu'il faut la couper. Pas étonnant que j'aie dû la relire trois fois avant de comprendre !... Elle suivait pas les conseils de word Marguerite ? (ouais, je blague là, hein ! me fais pas dire que word va dicter sa conduite à une artiste, une femme de sa trempe, la première femme élue à l'académie française !)
Bon tu croyais pas t'en tirer comme ça ?... Y'a une suite !