escale à Singapour (2)
(suite de ça ... )
ous entrons dans sa chambre. Pénombre d’un store à claire voie, pas de carreaux, les sons et les odeurs comme si on était dans la rue. J’ai des dollars dans ma poche, il faut payer d’avance. Elle disparaît derrière un paravent, bruits d’eau et froissements de tissu, elle réapparaît nue. Son corps est lisse et plein, son absence de pudeur rend sa nudité obscène. Elle me tend un préservatif et me fait signe de me déshabiller. Tant de froideur et de professionnalisme me refroidiraient presque si je n’étais pas motivé par de nombreuses nuits aux rêves érotiques inassouvis.
Elle s’étend sur le lit, recouvert d’un tissu multicolore et de coussins avachis. Je me déshabille et je la rejoins. Je passe mes mains sur son corps froid, plus pour avoir l’air un peu gentleman que par envie de la caresser, car mon sexe est douloureusement dur et avide de pénétrer en elle. J’écarte ses jambes et je passe mon doigt le long de sa fente épilée. Je n’ose pas y passer la langue par peur de choquer, je sais que certaines cultures sont réfractaires à ce genre de pratique. Pourtant j’aimerais garder le souvenir du goût de cette fille sur ma langue. Son goût évoque-t-il les fleurs exotiques des jardins qui longent le port, est-elle sucrée et vaguement écoeurante comme celle des marchands de beignets dans la rue, ou est-ce le goût âcre de vase décomposée des canaux qui sillonnent la ville ?
Lorsque je pénètre en elle, j’en hurlerais de frustration. Je m’agite de façon désordonnée. Elle essaie de m’aider de quelques coups de reins experts mais mon plaisir a été si longtemps comprimé qu’il a du mal à s’exprimer. Voyant que l’affaire risque de s’éterniser, et ne voulant sans doute pas perdre un temps précieux, elle me retourne sur le dos d’une secousse savante et prends les choses en main. Elle se plante sur moi et commence une danse rapide, précise et très efficace. Mon plaisir explose au bout de quelques secondes seulement, une fulgurance douloureuse et électrique, comme un barrage qui vole en éclats et me laisse vidé, envahi d’une torpeur comateuse, avec le sentiment contradictoire d’avoir à la fois perdu et trouvé quelque chose.
Mais pas le temps de m’apitoyer sur mon sort : mon amoureuse, dont la fente trompeuse n’est qu’un parcmètre, est déjà derrière son paravent. Re-bruits d’eau. Re-froissements de tissus. Et elle réapparaît devant moi, la façade repeinte, le fond de commerce remis à neuf. Elle me fait comprendre d’un signe que mon temps est écoulé. Je remarque tout d’un coup les rides au coin de sa bouche, les ombres sous ses yeux, les petits points qui picorent la peau à l’intérieur de ses bras.
Le plaisir physique éprouvé, si proche, est gâché par un écoeurement intense, un sentiment de honte et d’inassouvissement, une colère aussi, dont je ne sais pas si elle est dirigée contre elle ou contre moi.
Plus jamais je ne paierai une fille ! Plus jamais ! Ce n’est pas la première fois que je me le promets, mais chaque fois l’envie est plus forte que la raison, et chaque fois la brièveté du temps imparti à l’amour rend impossible les travaux d’approche pour arriver à séduire une fille et pouvoir la saillir gratuitement.
Mais cette fois, nous avons un mois, je vais avoir le temps de vivre une vraie histoire d’amour, avec tentatives d’approche, conquête difficile, consommation durement méritée et somnolence post-coïtale auprès d’une fille câline.